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II. « La langue que parle l’amour-propre » : rhétoriques et grammaires des passions formulées-cryptées, et procédures nouvelles de déchiffrage moralistique

Nous franchissons ici un seuil, sur le continuum de l’axe d’actualisation qui sert de principe ordonnateur à notre analyse : nous entrons dans l’univers des discours rapportés toujours fictifs, mais non artificiels, ceux qui miment un acte d’énonciation réalisé, et parfois même extratextuellement vérifiable, comme le discours des détracteurs de Marivaux évoqué dans les feuilles 7 et 8. La méthode du moraliste n’est plus alors de dénoncer les « péchés en pensée » en forçant leur explicitation, mais de reconnaître « la langue que parle l’amour-propre » dans des formulations constatées, quoiqu’elliptiques ou décalées : traquer la vanité dans les prémisses d’un raisonnement, dans l’inversion de l’antiphrase, ou dans le biaisage des dénominations, tel est l’enjeu de cette nouvelle étape de notre démonstration. |21|

A. La topique de l’amour-propre, ou les prémisses sophistiques d’une logique par essence disqualifiante pour autrui (feuille 7)

Ah ! que nous irions loin ! qu’il naîtrait de beaux ouvrages, si la plupart des gens d’esprit, qui en sont les juges, tâtonnaient un peu avant que de dire, cela est mauvais, ou cela est bon ; mais ils lisent, et en premier lieu, l’auteur est-il de leurs amis , n’en est-il pas ? Est-il de leur opinion en général sur la façon dont il faut avoir de l’esprit ? Est-ce un Ancien ? Est-ce un Moderne ? Quels gens hante-t-il ? Sa société croit-elle les Anciens des dieux, ne les croit-elle que des hommes ?
Voilà par où l’on débute pour lire un livre. On lit après ; et que lit-on ? Sont-ce les idées positives de l’auteur ? Non, il n’y a plus moyen ; son nom, son âge et sa secte les ont métamorphosées, toutes gâtées d’avance, ou toutes embellies. (p. 144)

Cet extrait nous remet en contact avec diverses problématiques linguistiques déjà abordées : celle, tout d’abord, de la complexité polyphonique de l’énonciation dans le texte du SF ; celle, ensuite, de l’illusion référentielle propre à l’imaginaire autophile, qui consiste à espérer plier les lois du réel à ses fantasmes et à « métamorphoser » l’objet du discours par le discours, le rendant laid ou beau selon la manière dont le tour rhétorique le présente ; celle, enfin, seulement entrevue plus haut, qui découvre dans « la langue de l’amour-propre » la trace d’un raisonnement, avec ses prémisses implicites : pré-requis culturels et pré-requis universels, fondant ce que nous allons appeler « la topique » de la vanité humaine. Nous ne revenons donc sur ces thématiques qu’à proportion de leur portée renouvelante dans l’extrait considéré.

1) Polyphonie énonciative et discours rapporté (DR)

Comme nous l’avons constaté dans les extraits de la feuille 3, la surface du premier plan énonciatif - celui du moraliste - est déjà fortement agitée de remous dialogiques : prises à parties directes du lecteur (d’où le « nous » initial, qui s’élargit cependant, au-delà du pseudo-embrayage sur la relation destinateur/destinataire, aux limites de la communauté culturelle qui les intègre) ; modalités exclamatives qui trahissent une forte inscription de la subjectivité expressive du sujet de l’énonciation : le narrateur-spectateur-moraliste ; structure conative question-réponse qui peut aussi bien mettre en cause le dialogisme externe avec le lecteur, qu’un dédoublement interne à la personne du Spectateur, se prenant lui-même à parti (monologue dialogisé) devant témoin : le lecteur. Ex. « On lit après ; et que lit-on ? Sont-ce les idées positives de l’auteur ? Non, il n’y a plus moyen… » C’est sur ce niveau énonciatif déjà complexe que se greffent plusieurs variétés de DR.

a) Le DD est présenté ici selon une des traditions ponctuantes du XVIIIe siècle dont ne se sert pas systématiquement Marivaux : les italiques, sans deux-points introducteurs et sans guillemets |22|. La présence démarcative des italiques et d’un verbe introducteur du dire empêchent cependant, on l’a signalé plus haut, de prétendre voir, ici comme en général, dans la pratique du DD chez Marivaux, une tendance au DDL (discours direct libre).
Du point de vue sémantico-rhétorique, il s’agit d’une conclusion esthétique, imputée aux détracteurs du journaliste-écrivain, et dont ce dernier déplore la hâte évaluative ainsi que - on va le voir - la partialité axiologique. Enfin, par rapport à notre repérage sur l’axe d’actualisation guillaumien, ces deux énoncés antinomiques : « cela est mauvais, cela est bon » correspondent à des énoncés réellement actualisés dans l’univers des référents extratextuels. Le procédé est donc ici authentiquement mimétique, non fictionnel, mais, quoique nous ayons affaire à un cas classique de DD, J. Authier-Revuz (op. cit. p. 38, 2e colonne) a montré combien le fonctionnement du DD comme « citation-monstration » en fait une énonciation plus autonymique que directement référentielle. Cela veut dire que la parole retransmise est exhibée « dans sa matérialité signifiante » (ibid. p. 40), renvoyant à elle-même en même temps qu’à son référent initial (s’il existe), d’autant qu’aucune reprise de la parole d’autrui par quelqu’un ne saurait prétendre à la parfaite objectivité. Dans un contexte polémique comme celui qui nous occupe, cette dimension d’exhibition autonymique, qui n’a plus rien à voir avec l’artefact d’actualisation forcée étudiée plus haut, se révèle incontestable et féconde pour la finesse des analyses. Il est évident par exemple que le Spectateur-Marivaux condamne comme habitudes énonciatives, autant qu’il cite comme énoncés effectifs, les deux phrases en question. Pour cela, il faut qu’il « montre » d’abord ce sur quoi portera son commentaire de protestation. Le DD ne vaut donc pas d’abord ici par sa tranparence référentielle, mais comme support de métalangage.

b) le DIL sert ensuite, dans l’extrait, à rapporter des propos avérés davantage au niveau de leur contenu que de leur forme, d’où le choix d’une variété de DR qui s’engage moins au niveau de la fidélité mimétique, et qui tient du DI (discours indirect) sa dimension de « formulation-traduction » (J. Authier, ibid. p. 38), autrement dit de réinterprétation subjective. Il s’agit pour l’écrivain persécuté de retranscrire les questions que se posent les « juges » de l’œuvre d’autrui avant évaluation, tout en dénonçant par cette transcription l’impertinence de l’enquête au regard de son objet. Se demander à quelle côterie (« Anciens » ou « Modernes ») appartient un auteur avant de le lire, c’est sacrifier le jugement à l’esprit de prévention. On notera cependant ici la plus grande proximité du DIL avec le DD qu’avec le DI, comme l’attestent l’emploi direct de la modalité interrogative et surtout le présent pseudo-déictique. En revanche, la transposition des marques de personne (« leurs amis » au lieu de « nos amis ») est un signe incontestable de DIL, dans un texte imprimé où (voir les notes) les signes de ponctuation démarcative sont trop instables pour servir de repère diacritique entre les divers types de DR.

2) L’origine sophistico-rhétorique de la « métamorphose » disqualifiante du référent

Ne vous a-t-on pas dit que cet écrivain courait après l’esprit ? n’était point naturel ? Eh bien ! n’avez-vous pas senti qu’on avait raison ? le moyen de n’en pas convenir ! En le lisant, vous avez trouvé un génie doué d’une pénétration profonde, d’une vue fine et déliée, d’un sentiment nourri partout d’un goût de réflexion philosophique ; avec ce génie-là, avec un naturel si riche et si supérieur, on est par-dessus le marché nécessairement singulier, et d’un singulier très rare ; cela est donc clair : il n’est point naturel, il court après l’esprit. (p. 146)

Cette suite de la démonstration de la Septième feuille confirme notre intuition initiale : « la langue que parle l’amour-propre » s’appuie sur des prémisses non dites liées à un système de croyance universel chez tout homme, selon l’optique moralistique classique : la cuidance (croyance présomptueuse et erronée, dans le lexique médiéval) que chacun a de s’estimer, par essence, supérieur à autrui.
C’était déjà sur ce présupposé que la coquette de la feuille 3 fondait son réflexe de compensation entre son « univers de cuidance » (paraphrase humoristique du concept de R. Martin) et le réel. Mais, un peu comme dans les cas d’actualisation forcée, le Spectateur va ici plus loin : il s’amuse à reconstituer, par accentuation de traits préexistants dans le langage dédaigneux ordinaire, le schème raisonneur et biaisé au moyen duquel chaque homme annihile l’hypothèse de toute rivalité susceptible de le gêner. Cela donne, dans l’exemple cité ci-dessus, la reconstitution drôlatique d’un faux raisonnement déductif-syllogistique, avec ses deux prémisses et sa conclusion.

a) La prémisse majeure trahit son origine sophistique par une triple marquage de déviation : deux marquages formels, l’un d’assertion détournée au moyen d’une interro-négative, l’autre de discours indirect subordonné à une proposition rectrice, qui fonctionne cependant davantage comme un modalisateur de vérité que comme un régisseur complété ; enfin, un marquage sémantique, lié à cette modalisation, qui présente le contenu de la proposition régie comme un message verbal sujet à caution : « ne vous a-t-on pas dit que // cet écrivain courait après l’esprit ? ». On notera en effet l’imparfait qui subordonne le dictum au modus des colporteurs de la fama, et qui signe la non-prise en charge de ce contenu par le protestataire.

b) La prémisse mineure est paradoxalement, eu égard à son orientation argumentative positive soulignée (appuis lexématiques évaluatifs rendus hyperboliques par leur accumulation, et renforcement de positivité par la locution adverbiale de surenchère : « par-dessus le marché »), contraire à l’attente préparée par la majeure : « vous avez trouvé un génie doué d’une pénétration profonde, d’une vue fine et déliée (…) avec ce génie-là, avec un naturel si riche et si supérieur (positivité paradoxale), on est par-dessus le marché nécessairement singulier, et d’un singulier très rare ». Il y a donc, entre les orientations argumentatives des deux prémisses, qui devraient normalement converger de concert vers une conclusion déduisible de cet accord, un écart producteur d’antilogie. Or l’antilogie |23| est un des indices de reconnaissance d’un raisonnement vicieux, ou sophistique.

c) Dans un tel co-texte, la conclusion, qui donne raison au contenu douteux de la majeure et confirme l’incompatibilité des deux prémisses par le démenti de la mineure, se signale donc par son caractère absurde, renvoyant rétroactivement de l’ensemble déductif l’image d’un paralogisme.
Si l’on devait cependant rechercher dans la mineure un trait vraisemblabilisant de cette conclusion négative, on le trouverait peut-être dans l’hypothèse d’une syllepse en Discours des adjectifs polysémiques en Langue : « singulier » et « rare ». Car si « singulier » se lit comme « étrange » autant que comme « remarquable », et « rare » comme « peu courant » autant que comme « exceptionnel », on peut admettre qu’aux yeux d’une certaine doxa critique du début du XVIIIe siècle - celle des « Anciens » -, la valeur d’originalité et la maxime de qualité (anti-universelle et anti-imitative) sonnent comme des anti-valeurs, favorables par conséquent à une conclusion disqualifiante. Tout dépend de quels pré-requis axiologiques on part.
En réalité, le co-texte construit par l’écrivain protestataire paraît favoriser la lecture positive de la mineure, et confirmer l’interprétation sophistique du « syllogisme ». Mais la finesse extrême de l’esprit comme du style de Marivaux permettant de maintenir, en sous-dominante, l’hypothèse de la syllepse, nous y verrons, pour conclure, un trait surnuméraire possible de polyphonie ironique. Le moraliste peut très bien s’être arrangé pour rendre le raisonnement, selon les aprioris des uns, absurde ; selon les aprioris des autres, vraisemblable, quoique ridicule.

B. Une rhétorique de la dénégation : la technique de l’antiphrase chez les rivaux de mauvaise foi

Dans la Huitième feuille, le Spectateur s’attaque à une nouvelle manifestation langagière de l’amour-propre : son caractère dénégatif de la valeur d’autrui, certes (cela n’est pas nouveau) ; mais plus précisément l’inscription dans sa grammaire et sa rhétorique d’un trait caractéristique de la dénégation : la tendance à inverser, dans le Discours, les valeurs en Langue de tel ou tel phénomène sémantique.
C’est ainsi que lors d’un colloque à Toulouse, consacré à « Marivaux et l’imagination » (1998), nous avons montré comment, dans le théâtre marivaudien, la dénégation amoureuse s’appuie répétitivement sur l’inversion des valeurs sémantiques usuelles de l’indicatif et de l’hypothèse : l’indicatif, mode de l’affirmation assertive, sert à nier l’évidence d’un sentiment amoureux émergent, tandis que l’irréel est souvent utilisé comme écran protecteur aux premiers aveux, par ce biais à la fois exprimés et déniés |24|. Or dans Le Paradoxe du menteur, P. Bayart, interprétant les ruses stylistiques des personnages de Laclos dans Les liaisons dangereuses, aboutit aux mêmes conclusions. Citant un article de 1925 consacré par Freud à la résistance dénégative dans la cure psychanalytique, il analyse ainsi cette « grammaire » du déni : « Celle-ci (la dénégation) constitue un compromis entre les exigences de la vie inconsciente et celles de la vie consciente. Un contenu refoulé - plus exactement des contenus de représentation - parvient à la conscience, mais accompagné d’un signe négatif. De la sorte, la représentation n’est pas véritablement acceptée (…) L’idée de compromis (…) sous-tend la notion de dénégation (…) Il en va de même de l’inversion logique, qui fait équivaloir des signes opposés : qu’un oui puisse, au regard de l’inconscient, valoir un non… (p. 92). » Et P. Bayard de renchérir plus loin (p. 96) : « l’élément central de la dénégation », c’est « le caractère inconscient de ce qu’elle traite en inversant ses signes. »|25|
En lisant ces lignes, on commence par se remémorer la coquette du théâtre, et le refoulement du message insoutenable (« je suis moins belle que mes voisines »), incompatible avec l’axiome de supériorité inhérent à toute autophilie, que trahit son acharnement à re-composer son nez : ce « travail » est, nous l’avions dit, à la fois un aveu et un déni. Il révèle la superposition de deux intentionnalités contradictoires : tenir compte du message ; le faire taire par un compromis, compensateur du décalage entre le réel et le fantasme.
Dans le cas que nous allons maintenant examiner, le déni prend plus exactement la forme d’une inversion rhétorique : celle qui traduit, antiphrastiquement, l’éloge de l’homme de génie sous le blâme paradoxal que font subir à sa réputation ses détracteurs envieux.

Voulez-vous savoir ceux à qui d’entre les deux partis vous devez le plus d’estime ? La recette est sûre : écoutez les auteurs eux-mêmes, remarquez bien ceux qu’ils prennent à tâche de décrier, contre lesquels ils emploient le plus de raisonnements et de dissertations, ceux contre qui leur critique ou leur mépris mord avec le plus d’emportement ; et cet emportement, tâchez de le démêler, tout masqué qu’il sera quelquefois d’un air de discrétion ou d’indifférence jalouse ; souvent même, vous verrez attaquer les gens d’une manière oblique (…) // Encore une fois, remarquez bien ceux que cela regarde, et voilà qui est fait : tenez-les à votre tour pour d’habiles gens : vous venez de les entendre louer ; car, dans la profession, on ne se loue pas autrement. Oui ! toutes les injures qu’on leur a faites sont vraiment autant d’éloges dont vous ferez l’estimation au degré de venin et de subtilités que portent ces injures mêmes ; et croyez ce que je vous dis, comme vous croyez au produit d’une somme calculée dans la dernière exactitude. (p. 150-151)

Cette longue leçon de décodage d’une rhétorique perverse, trahie dans son logos (justification logique de son point de vue) par son pathos (émergence de la violence passionnelle sous l’effort de rationalisation), nous rappelle en premier lieu la définition que La Rochefoucauld donnait de l’envie (M 28) : « une fureur qui ne peut souffrir le bien des autres ». Mais cette violence se traduit elle aussi par un double message contradictoire : l’envie loue en blâmant, elle honore par l’injure. Or en maniant ainsi l’antithèse, le moraliste nous ouvre à l’intelligence d’une loi herméneutique paradoxale : chaque message inspiré par l’envie signifie son contraire, et l’indice d’inversion est contenu dans la violence-même :

De tous les mensonges, le plus difficile à bien faire, c’est celui par qui nous voulons feindre d’ignorer une vérité glorieuse à nos rivaux ; notre amour-propre, avec toute sa souplesse, est alors défaillant en ce point, qu’il ne peut dans ses fourberies se déprendre de la passion qui l’agite ; cette passion le suit ; il ne peut se l’assujettir, ni la soustraire ; elle est empreinte dans tout ce qu’il nous fait dire ; on la voit, et cela trahit sa malice, et l’en punit. (p. 151)

Nous retiendrons de cette description deux traits techniques implicités par le caractère spontané de la protestation du Spectateur : d’abord, l’expression « feindre d’ignorer » fait allusion à un procédé sophistique bien répertorié, qu’on appelle l’ignoratio, et qui consiste à faire comme si on ne savait pas à qui on a affaire, à esquiver le véritable objet du débat ; ensuite, le maniement de l’antonymie radicale (éloge/blâme ; hommages/injures) désigne discrètement un autre procédé rhétorique : celui de la réfutation par argument polarisé, ou contrariété forte - trace d’un enjeu agonistique radical dans l’affrontement entre les parties.
Depuis Aristote, on distingue en effet deux degrés d’opposition rhétorique : la contrariété (opposition forte, appuyée sur des arguments aussi contrastés que le sont, dans le genre du discours, l’éloge et le blâme) ; la contradiction, négation faible ou graduée |26|. À ces catégories logiques correspond en sémantique lexicale un classement des types d’antonymes :
1) antonymes contradictoires ou complémentaires, qui sont en relation de disjonction exclusive, et dont le test de négation « entraîne l’assertion de l’autre ». Ex. présent/absent, marié/célibataire (Lehman & Martin-Berthet, 1998, p. 59)
2) antonymes contraires ou « gradables », qui « définissent les extrêmes d’une échelle de gradation implicite et autorisent l’existence de degrés intermédiaires » (ibid.). Ex. grand/petit, beau/laid, bon/mauvais, amour/haine. |27|
En stricte logique, les antonymes Ancien/Moderne, éloge/blâme, injures/hommages ne sont que des contraires dits « gradables ». Mais les traiter systématiquement ainsi serait oublier que la langue ordinaire, à la différence des équations formelles, se déploie dans des contextes pragmatiques (situations sociales d’énonciation) qui peuvent influer sur l’appréciation de l’antonymie in situ. C’est pourquoi, dans un contexte polémique comme celui que décrit l’écrivain en mal de reconnaissance, nous aurions d’abord tendance à traiter ces doublets comme des paires disjonctives, surtout du point de vue des détracteurs de Marivaux, à qui on ferait mal admettre que, lorsqu’ils disqualifient un rival, sous un certain angle, ils le louent ! Pour que fonctionne jusqu’au bout le raisonnement du Spectateur-Marivaux, il faut donc que pour les uns, l’affirmation d’un certain acte de parole (critiquer quelqu’un) entraîne bel et bien la négation de son contraire (le louer), tandis que pour le malin moraliste qui les observe (à la fois juge et partie), la loi du paradoxe (logique mentale à l’intérieur de laquelle s’équivalent les contraires et s’inversent les signes) dégagée par P. Bayard et par nous-même plus haut, doit pouvoir jouer à plein. Or, pour qu’amoureux, menteurs et orgueilleux puissent à la fois se déclarer et se démentir, tricher et mentir-vrai, blâmer et louer, trouver leur nez beau, quoique laid (!),etc., il faut en réalité que ces arguments crus disjonctifs par ceux qui se mentent à eux-mêmes, soient en réalité seulement gradables !

Nous avons aussi un autre intérêt que de raffiner l’analyse lorsque nous maintenons en arrière-plan la possibilité pragmatique de parler d’antonymes disjonctifs dans certains contextes polémiques : c’est de montrer la différence qui sépare la violence des critiques entre auteurs, de la perfidie feutrée qui caractérise la rivalité entre femmes. Nous savons en effet que, pour compléter sa démonstration dans la suite de la Huitième feuille, le Spectateur rapproche, par analogie, ces deux formes de concurrence envieuse. Mais, sans doute parce que la société les contraint particulièrement à la dissimulation, les femmes se révèlent, à la comparaison, plus prudentes dans leurs attaques - c’est-à-dire, plus subtiles.
C’est pourquoi nous aimerions nous appuyer, un peu librement, sur l’opposition contrariété polarisée / contradiction gradable pour distinguer les sophistiques masculine d’une part, féminine d’autre part. Cette distinction pourrait en effet rendre compte, par exemple, de ce qui sépare un blâme antiphrastique d’un éloge empoisonné, une « injure » d’une concession rhétorique, ou encore l’opposition « bon/mauvais écrivain » de ces binaires comme « sage/triste », « vivacité/rudesse » que l’ingéniosité d’une femme jalouse parvient à « métamorphoser » en parasynonymes.
Car avec le portrait moral (éthopée) de cette nouvelle coquette, nous quittons la ruse sophistique des métamorphoses référentielles, pour rencontrer le grand art de trafiquer les signifiés, toujours au nom de l’amour-propre. Ce grand art trouvera plus loin la révélation de son apothéose dans la leçon du père de l’Inconnu, révélant à son fils éberlué la possible institutionnalisation sociale de telles sophistications lexicales (III, B).

C. Finesses rhétoriques de la rivalité féminine : connexions logiques et jeux sémiques biaisés

Alors que le Spectateur-Marivaux nous a projetés in medias res dans le feu de la polémique stylistique dont il est la victime, donnant de celle-ci une vue synthétique dont il détaille après coup les constituants rhétoriques, il adopte un tout autre rythme - narratif et analytique - quand il expose l’anecdote qui lui sert d’analogon pour renforcer sa démonstration. Son récit décompose donc de nouveau calmement les étapes de sa méthode investigatrice, inférentielle puis confirmatoire, enfin conclusive-élargissante. Aussi décrit-il une attitude féminine qui, loin des injures et des déclamations, se trahit d’abord par un curieux silence, puis par une mesure de diversion, indices à partir desquels le moraliste pose une hypothèse que la suite de « l’enquête » corroberera. D’entrée de jeu, en tout cas, on constate que la violence de l’envie féminine se manifeste de façon plus habile et feutrée que celle de ses homologues masculins :

Dans la conversation, on vint à parler d’une autre dame, voisine de celle chez qui j’étais, et que je devais voir aussi le lendemain pour la première fois. C’est une fort aimable femme, dit alors quelqu’un de la compagnie. À cela, pas un mot de réponse de la part de la dame qui était présente ; mais en revanche, question subite faite à propos de rien, sur le temps que j’avais envie de passer à la campagne.
Bon ! dis-je en moi-même, bon ! pour la dame dont on a parlé, elle est aimable, c’est un fait, et peut-être plus aimable que celle à qui je parle (…) ce peut-être que je formais se convertit bientôt en certitude. Quelqu’un reprit le discours sur la dame dont le silence de l’autre avait ébauché l’éloge

On mesure d’emblée la distance qui sépare l’éloge par le blâme antiphrastique, de l’éloge par le silence antiphrastique - puisque se taire est tout de même, pour l’envieuse, un aveu paradoxal d’agressivité, donc un signifiant zéro à double entente, exigeant un mode d’interprétation également inféré par une procédure d’inversion, selon la méthode moralistique déjà exposée plus haut.
La dame va cependant sortir de sa réserve, et c’est alors son mode spécifique de verbalisation biaisée qu’il sera utile de comparer à la violence symptomatique des jalousies masculines.

1) la concession et ses variantes : les moyens d’une dénégation feutrée

On connaît les deux étapes successives de la concession rhétorique : concedo, sed nego. Tandis que les rivaux masculins se trahissent par un rejet en bloc de leur adversaire (le procédé d’ignoratio), l’envieuse aborde le sujet délicat à pas mesurés, derrière la ruse de la reconnaissance partielle des mérites de sa rivale :

c’est une femme qui a beaucoup d’agréments, il est vrai, mais n’avez-vous pas remarqué qu’elle est d’une physionomie extrêmement triste ?
et même derrière la ruse de l’admission conditionnée de sa propre partialité :
Peut-être que je me trompe, mais comme elle n’a guère de teint, qu’elle a je ne sais quoi de rude dans les yeux…
Suit, en réponse aux objections des admirateurs masculins qui, trompés sans doute par sa prudence rhétorique, défendent sa rivale auprès d’elle, une forme très subtile d’éloge empoisonné de cette dernière, qui ne serait pas sans pouvoir illustrer deux des maximes de La Rochefoucauld :
Il y a des reproches qui louent, et des louanges qui médisent (M 148)
et surtout :
Nous choisissons souvent des louanges empoisonnées qui font voir, par contrecoup, en ceux que nous louons, des défauts que nous n’osons découvrir d’une autre sorte. (M 145)

Il faut en effet mesurer l’impact de la situation d’énonciation sur le choix des procédés réfutatifs de la dame : elle n’est pas entourée d’interlocuteurs qui partagent sa doxa, comme ce serait le cas si, dans une assemblée d’auteurs partisans des « Anciens », l’un d’eux venait à parler d’un « Moderne ». Le blâme n’aurait pas à se dissimuler. Ici, visiblement entourée d’admirateurs de sa rivale, et probablement retenue par des liens de familiarité - qu’atteste d’ailleurs la réelle connaissance qu’elle semble avoir des incommodités de vie de sa voisine -, l’envieuse doit « ménager la face » sociale de son entourage autant que la sienne, ce qui réduit la marge d’explicitation de ses véritables sentiments : elle ne peut « parler vrai », quoiqu’aux yeux du Spectateur, sa parade de bienveillance ne paraisse pas sans faille. Le décodeur du semi-mensonge va donc s’attacher plus particulièrement à dégager, dans la sous-conversation de la dame, deux procédés subtils de décalage lexical et de justification logique sophistique.

2) La fausse bienveillance d’une satire indirecte : décodage par le moraliste de décalages lexicaux et d’articulations logiques sophistiques implicitées

Une visite qui arriva rompit le cours d’une satire qui rendait une femme triste parce qu’elle était modeste, convertissait la vivacité de ses yeux en rudesse, ne lui souffrait un beau teint qu’en conséquence d’une migraine, lui remplissait la tête de fluxions pour lui gâter les dents, et la faisait infirme pour la vieillir ; satire, en un mot, qui, en trois ou quatre traits enveloppés dans un air perfide de bienveillance, barbouillait tous les appâts de la dame en question, ruinait ses dents, sa santé, sa jeunesse, son teint, et le feu de ses yeux. De sorte qu’impatient de vérifier là-dessus mes conjectures, je courus le lendemain chez cette femme triste, pâle, infirme et âgée. Je ne m’étais pas trompé, je la trouvai telle que je l’avais comprise sous les expressions dont on s’était servi pour elle (…) Cette femme à l’air triste me parut avoir un air sage ; sa pâleur était une blancheur mêlée d’un incarnat doux et reposé ; ses yeux rudes jetaient des regards vifs et imposants. À l’égard de son air infirme, on pouvait le justifier par je ne sais quoi de mignard, de tendre et de languissant, répandu dans sa figure ; au reste, je remarquai que cette dame crachait assez souvent, et ce fut à cela que j’attribuai l’idée des fluxions qui lui gâtaient les dents ; pour son défaut de jeunesse, je le trouvai, moitié dans beaucoup d’embonpoint, et moitié dans la simplicité de ses ajustements.
À vous dire le vrai, il n’appartient qu’à l’amour-propre piqué d’apercevoir les rapports éloignés que tant d’avantages pouvaient avoir avec les défauts qu’on m’avait annoncés. (p. 152-153)
a) reconstitution d’un raisonnement sophistique sous-jacent

Ne se doutant pas que l’un de ses auditeurs a su lire sous les mots déniés dans l’éloge d’autrui et sous les substituts lexicaux adoptés pour les réfuter subtilement, les méandres d’une pensée mentale rendue tortueuse par l’impossibilité de parler vrai, la dame envieuse ignore elle-même quels liens logiques peuvent relier ce qu’elle dit à ce qu’elle pense. Nous avons donc une nouvelle fois affaire, ici, à ce procédé de sur-explicitation par lequel le moraliste met au jour ce qui est mental, parfois semi-conscient, parfois encore inconscient ou prélinguistique dans la pensée d’un personnage. Mais le résultat est sous nos yeux : « parce que » ; « en conséquence de » ; « pour » sont des connecteurs ou des ligatures logiques portant témoignage des traces d’une argumentation interne impure, d’un calcul inconscient de l’amour-propre qui cherche à se justifier (parce que), à compenser ses défaites (« en conséquence de »), à viser les failles de l’adversaire (pour). On trouve également chez La Rochefoucauld, dans les Maximes où règnent en maîtresses les prépositions d’origine (par) et de but (pour), ou bien dans l’incipit de L’Apologie du prince de Marcillac (en réalité un réquisitoire contre Mazarin), de ces ligatures logiques qui dessinent les détours de calculs explicatifs, de mobiles d’intérêt, de stratégies de brouillage : Marivaux s’inscrit donc bel et bien dans cette tradition des moralistes classiques qui jettent le soupçon sur le langage autant que sur les comportements.

b) l’art des décalages lexicaux et de leur subtile vraisemblabilisation

La dame, toute inspirée de sentiments oxymoriques (« air perfide de bienveillance ») a aussi le don de trouver les termes qui ternissent les mérites de sa rivale sans les éteindre totalement. Plus d’antiphrase radicale, donc, ni - si on nous concède un peu de souplesse à l’égard de la logique pure - d’antonymes polarisés. S’il y a bien encore dans cette dénégation une « satire » sous laquelle se lise un inverse élogieux, s’il est vrai qu’en conclusion, le moraliste se sert toujours d’antithèses pour dramatiser la perfidie et justifier son analogie (« rapports éloignés » ; « avantages/défauts »), on doit tout de même reconnaître combien l’art féminin d’égratigner les qualités d’une concurrnte consiste le plus souvent à leur substituer les défauts les plus… voisins !
« Pâleur » n’est en effet à « blancheur » qu’un parasynonyme défavorisé connotativement. « Triste », pour désigner le résultat de la sagesse et de la modestie, n’est certes guère aimable, mais il est vrai que dans un certain univers axiologique, la vertu n’est pas perçue comme excitante. Sans doute les dents de la dame ne sont pas à ce point gâtées, mais une femme qui « crache » perd tout de même en pouvoir de séduction physique. Si les yeux sont « vifs » et « imposants », comme en témoigne le Spectateur, que sa rivale les trouve « rudes » (autoritaires ? s’ils percent et qu’ils dominent…) n’a rien, non plus, d’une opposition radicale. C’est donc là que nous sommes vraiment sur un axe de gradation où, prudente en sa vengeance, la fine envieuse se contente de tirer vers « plus négatif » des beautés qui ne sont elles-mêmes pas parfaites à l’origine. Le terme d’« embonpoint » n’est-il pas par exemple ambigu : bonne santé ou excès de poids, quand il est admis par le moraliste lui-même que la dite dame en a « beaucoup », au point d’évoquer « un défaut de jeunesse » ? L’observateur est donc parfois loin d’aider la personne qu’il prétend défendre |28| , tant il s’emploie ici à prouver bien davantage l’ingéniosité de l’amour-propre rival à opérer des glissements de termes vraisemblables. Nous voulons dire par là que les termes de substitution choisis sont toujours d’une composition sémico-rhétorique telle qu’ils se gardent de faire perdre de vue le référent, ou du moins la possible justification extradiscursive des déformations introduites.
Ce n’est évidemment pas que nous prenions ici la défense d’une perfide : nous voulons seulement éviter une interprétation caricaturale de la stratégie d’amour-propre décrite dans ce passage, celle-ci frappant au contraire par sa spécificité de finesse. Avec l’affaire du « nez », Marivaux confinait au bouffon. Dans le présent extrait, il accède à son génie comique propre, celui de la fine peinture des mœurs et des subtilités mécaniques de la vie psychologique et morale.
Dans la lignée des grands moralistes, il achève enfin ce portrait par une série de maximes enchaînées qu’on pourrait croire, détachées les unes des autres, extraites du recueil de La Rochefoucauld :

Volontiers louons-nous les gens qui ne nous valent pas ; rarement ne censurons-nous pas ceux qui valent mieux que nous ; ainsi, nous ne louons le mérite d’autrui presque que pour sous-entendre la supériorité du nôtre ; et quand nous le blâmons, c’est la douleur de le sentir supérieur au nôtre qui nous échappe. (p. 153)

À l’exception de leur moindre fermeté formulaire, et de leur ancrage textuel comme conclusion d’un raisonnement qui les précède (opposition continu/discontinu), ces sentences marivaudiennes pourraient être rapprochées de quelques beaux isolats larochefoucaldiens, comme : M 281 : L’orgueil, qui nous inspire tant d’envie, nous sert souvent à le modérer.
M 294 : Nous aimons toujours ceux qui nous admirent, et nous n’aimons pas toujours ceux que nous admirons.
M 296 : Il est difficile d’aimer ceux que nous n’estimons point ; mais il ne l’est pas moins d’aimer ceux que nous estimons beaucoup plus que nous.
M 328 : L’envie est plus irréconciliable que la haine.

Et pour achever notre deuxième série d’études, cette dernière maxime, espérance possible pour tous les génies incompris : M 95 : La marque d’un mérite extraordinaire est de voir que ceux qui l’envient le plus sont contraints de le louer.

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Catherine Costantin
E.N.S Ulm


21| Nous cessons donc ici de nous situer au stade « in posse » de la logogénèse. Le dire rapporté (quoique toujours fictif) est présenté dans la fiction même comme attesté, mais l’amour-propre continue de le crypter en le repliant sur les non-dits partiels du présupposé, de la prémisse implicitée, de l’inversion antiphrastique et de la sous-conversation à biaisages sémiques. C’est pourquoi nous rapportons ces états de l’énonciation à un stade médian de la logogénèse, celui qui correspond dans la chronogénèse au temps « in fieri » : saisie d’une « langue de l’amour-propre » en émergence, mais encore assez honteuse d’elle-même pour freiner-dénier sa propre saillance de diverses manières.
22| Les guillemets existaient pourtant déjà dans leur fonction actuelle de démarcation du DR, puisque J. Drillon, dans Le Traité de la ponctuation française, au chapitre « Le guillemet », cite la définition suivante du dictionnaire de Furetière (1690) : « Ce sont de petites virgules doubles qu’on met en marge,& à costé d’un discours, pour marquer qu’il n’est pas de l’Auteur. » Notons que s’il est vrai que l’édition de F. Deloffre et M. Gilot, selon l’Avant-propos, « reproduit le texte voulu par Marivaux » (p. I), malgré une allusion trop succincte pour être interprétée (p. II) à une discrète modernisation de la ponctuation, Marivaux n’utilise jamais les guillemets pour cet usage. Cela tend à réduire aux marqueurs strictement grammaticaux, notamment, la distinction entre DD et DIL.
23| J.J. Robrieux en donne la définition suivante, dans Eléments de rhétorique et d’argumentation (p. 64) : « L’antilogie est une contradiction paradoxale de termes dans un énoncé prédicatif. Tout ce qui est bon est mauvais peut signifier Tout ce qui est agréable au goût est généralement peu diététique. Mais présenté ainsi, la formule est déconcertante et aboutit à un non-sens. Volontaire ou non, le raisonnement est formellement inacceptable. Les antilogies sont des formalisations possibles de sophismes ou de paralogismes. » Nous élargissons cette définition, restreinte ici aux prédicats phrastiques, à l’enchaînement, comme dans un syllogisme, de propositions logiquement reliées, solidaires dans leur orientation argumentative. Par ailleurs, l’exemple choisi par Robrieux permet un rapprochement intéressant avec notre texte, puisqu’il choisit un paradoxe formellement indéfendable, quoique compréhensible dans certaines situations pragmatiques. Or c’est ce que nous démontrons aussi pour le para-syllogisme de la feuille 7, lequel cependant, même interprété du point de vue des valeurs « puristes », reste tiré par les cheveux.
24| La version écrite de cette communication est à paraître pour début 2002 aux Editions Universitaires du Sud, sous le titre « Tension et inversion du sens modal entre l’hypothèse et l’indicatif dans le théâtre de Marivaux : contribution à une stylistique structurale de la dénégation ».
25| Dans son article de nov. 2001 sur Le Spectateur français, A-M Paillet-Guth relève aussi les paradoxes et inversions de l’écriture marivaudienne (p.134-137), mais dans l’optique d’en montrer les décalages humoristiques. Notre article fait d’une façon générale la part belle à l’esprit de sérieux : il est bon d’équilibrer les interprétations en rappelant qu’il y a aussi chez Marivaux, non seulement une place pour l’ironie (qui reste une dérision sérieuse), mais pour l’humour (voir bibliographie).
26| Voir la présentation de ces deux degrés de réfutation dans l’ouvrage de G. Declercq, L’Art d’argumenter, p. 78 et suivantes.
27| Il en existe d’autres catégories, comme les « converses ou réciproques » (du type : parent/enfant, patron/employé), ou les catégories sérielles non binaires (ex. le lundi n’est pas le dimanche, « je » n’est pas « tu »), mais elles ne nous intéressent pas ici (voir Lehman & Martin-Berthet, op. cit., p. 61).
28| Une situation voisine se reproduit dans la séquence du « Monde vrai » (CP, Huitième feuille), où des dames se jaugeant dans un salon tiennent les unes sur les autres des discours mitigés mêlant concession et dénégation sous la forme de jeux lexico-argumentatifs similaires. Mais contrairement au Spectateur, le Philosophe, seul interlocuteur à « entendre » (syllepse sur ce verbe) leur « dialogue secret » (405), ne privilégie l’opinion d’aucune, se contentant de souligner les décalages de caractérisation entre chaque objet et son appréciation, non sans noter cette fois clairement les imperfections effectives qui, à l’origine, peuvent expliquer leur dégradation accentuée !