Scène 1
Un petit-maître, un poète
Le petit-Maître
Sur l’air Des Pendus
Que venez-vous faire en ce lieu ?
Apprenez que j’en suis le dieu.
Le poète
Vous le dieu, la plaisante affaire ?
Vous êtes au plus mon confrère.
Je vous croirais à vos raisons
Le dieu des Petites-MaisonsPetites-Maisons : « On appelle à Paris, Petites-Maisons, l’hôpital où l’on enferme ceux qui ont
l’esprit aliéné. » (Acad. 1694)..
Le petit-Maître
Sur un LanlaSur un lanla : même air que Landerirette.
Qui vous donne la licence
De me badiner ainsi ?
Le poète
Sire, votre suffisance
Fait que je badine ici
Sur un lan la [lan derirette
Sur un lan la lan deriri].
Le petit-Maître
Air : Réveillez-vous belle endormie
Si vous voulez ici redire
Vos vers durement façonnés,
Hérissés de traits de satire,
Par cette porte, retournez !
Le poète
Air : Folies d’Espagne
Ah, je connais votre cœur équivoque.
Respect le cabre, Amour ne l’adouçit,
Vous ressemblez à l’oeuf cuit dans sa coque.
Plus on le chauffe et plus il se durcit.
Avant de me retirer de ces lieux, je vous prie de me laisser examiner les
statues que voici.
Le petit-Maître
Volontiers.
Le poète
Première statue
Air : Non, je ferai pas [ce qu’on
veut que je fasse]
Voici d’un orateur la figure sincère.
Il fut privé du jour sans l’être deMs. :
« la ». Le « la » ne respecte pas la métrique et sa présence n’est
pas motivée par la mélodie. lumière.
A part
Il brûla ses écrits, ce grand original,
Afin d’être posé sur ce beau piédestal.
Deuxième statue
Mais voyons ce que signifie cette statue la plume en mains.
Air : De tous les Capucins du monde
Voici cet auteur pathétique,
Suppôt de la scène tragique,
Qui change un morceau de renom
Non pour en augmenter la vogue,
Mais afin d’y placer le nom
D'une élégieÉlégie :
« Espèce de poésie de vers alexandrins en rimes plates, qui
s’emploie dans les sujets tristes et plaintifs et dans tout ce qui
regarde l’amour. » (Acad.1762). en
dialogue.
Sans doute, Monsieur, que c’est vous qui avez fait les inscriptions qui sont
au-dessous de ces dignes portraits ?
Le petit-Maître
Oui, vraiment.
Le poète
Troisième statue
Ah, ah, ah, ah ! Mais qui est celui-ci tourné devant cet autre ?
Air : Du haut en bas
La plume en main,
Il tire une nouvelle pièce,
La plume en main,
Des jeuxJeux : « Jeux, signifie des représentations qui se font sur
le théâtre, ou par les rues. » (Acad.
1694). de son fameux voisin,
Il y pille avec allégresse
Le beau comique et la tendresse,
La plume en main.
Il fallait que ses jeux fussent une bibliothèque.
Air : Comme je les étrilleÉtriller : « On dit fig. et fam. Étriller quelqu’un, pour dire, le battre. » (Acad. 1762).
Ma foi j’étouffe de rire
Avec ce grand roi des fous.
Cet aimable dieu des goûts
Met le seing à la satire.
Et dans un sombre courroux,
[Comme il les étrille, étrille
Et dans un sombre courroux]
Comme il les étrille tous !
Oh, certes, à tout ce que je vois je ne puis reconnaître le dieu que je
chérissais autrefois. Il avait un concoursConcours : « Il signifie affluence des hommes en quelque
endroit. Grand concours de peuple. » (Acad. 1694).
qui ne finissait point. Celui-ci a une solitude perpétuelle. Vous
êtes un goût bien particulier. Mais quel triste événement... ces lieux
s’obscurcissent ! Que cela signifie ?
Scène 4
Mercure, PolichinelleLes mots « C'est ici, grand dieu »
sont biffés par le scripteur qui a copié par erreur le début de cette
réplique qui vient plus tard dit par « Mercure » non biffé malgré
l’erreur.
Le théâtre change et représente un palais et dans l’enfoncement un tombeau où
est le dieu du Goût. Mercure amène le véritable dieu du Goût.
MercureMs. : « Mercure, Polichinelle » précédant
le nom du personnage Mercure
C'est ici, grand dieu, que votre triompheMs. :
« troupe » biffédoit paraître. Jupiter a vengé l’injure d’un
indigne mortel qui usurpait votre droit. Et sous les auspices de votre nom,
faites voir à tout l’univers que vous êtes le vrai goût qu’il s’imaginait
connaître.
Air : Ô reguingué [ô lon lan la]
Ces lieux sont préparés pour vous
(bis)
Régnez, triomphez, dieu du Goût !
Ô reguingué, ô lon lan la,
Moi je vais par mon ministère
L'annoncer à toute la terre.
Polichinelle
Apprenez-moi, Mercure, quelles sont les mœurs d’aujourd’hui. Avant de
reparaître, je serais charmé d’être instruit des sentiments des hommes.
Air : [Laire la ]laire lan [laire]
Autrefois les tendres amants
Étaient sincères et constants.
Mercure
Aujourd’hui c’est le contraire,
Laire les laire lan laire !
Laire les laire lan [la]
Air : Assis sur l’herbette
Quand le badinage
Enchaîne deux cœurs.
L'amour est volage.
Après les faveurs,
Toujours laMs. : « les » biffé
bergère
Tâche de charmer,
Mais elle sait plaire
Sans savoir aimer.
Polichinelle
Air : C'est un rêve queMs. : deuxième « que » non biffé celaC'est un rêve que cela : air du vaudeville final du
Temple du Sommeil, Panard et Fagan, joué à
l’opéra-comique le20 septembre 1731.
L'on a vu cent fois à Paris
Les amants courtiser des femmes
Qui pour complaire à leurs maris,
Mille fois rebutaient leurs flammes.
Mercure
Turelure lure [et] lon lan laMs. :
« turelure relure lon lan la »
C'est un rêve que cela.
Bon, bon, c’est bien autre chose à présent. Les femmes sont bien plus
complaisantes.
Air : Laisse-moi te faire
Elles laissent faire
Sans tant de mystère
Elles laissent faire
De tendres aveux
Et de si beaux feux.
Peut-on être sévère ?
Elles laissent faire
De tendres aveux.
C'est leur système et les maris ne sont aucunement fâchés de ces négoces.
Air : Fallait -il que soit ton cousinMs : « Falét-ti que soit ton cousin »
Ma foi, sous l’amoureuse loi
A présent on s’exerce.
Dans l’amour on trouve un emploi,
Dans l’hymen un commerce.
Polichinelle
Air : Monsieur le prévôt des marchands
Aujourd’hui par plus de bonté,
Déchaînés, ils bravent les armes.
Plutus arrête l’équité...L'air n’est pas
fini.
Dites-moi, je vous prie, des nouvelles des spectacles.
Air : ChantezMs. : un premier « petit » biffé petit Colin
Cet opéra si beau
Que partout chacun vante.
Cet opéra si beau
Donne-t-il souvent du nouveau ?
Mercure
La coulisseCoulisse : « Se
prend aussi pour ces pièces de décoration que l’on fait avancer et
reculer dans les changements de théâtre. Les acteurs
attendent encore les coulisses, le feu se prit aux
coulisses. » (Acad. 1694). est
brillante
Le public s’en contente
Ce riche palais
Aurait plus d’attrait
S'il était en paix.
Polichinelle
Peut-on vivre en paix quand on ne vit point en liberté ? Mais que me
direz-vous des autres spectacles ?
Mercure
[Air:]
Air : Il faut l’envoyer à l’écoleIl faut l’envoyer à l’école :
vaudeville final de L'École des mères de Marivaux,
comédie représentée par les comédiens italiens à Paris le 26 juillet
1732.
Sur le théâtre italien
Un superbe temple on décoreAllusion à la
pièce Le Temple du Goût, de Romagnesi et Niveaux,
première représentation à la Comédie-Italienne le 11 juillet
1733..
Polichinelle
Mais encore ?
Mercure
Le Goût dans un sens ne vaut rien.
Il paraît là comme une idole,
Méconnaît l’esprit, le bon sens.
Dans ce temps
Il faut l’envoyer à l’école.
Air : Réveillez-vous [belle endormie]
L'autre plus rempli de sagesse
Abandonné de ses auteurs,
Au défaut des nouvelles pièces
Offre bien des nouveaux acteurs.
Polichinelle
Et que me direz-vous de l’Opéra-Comique ?
Air : Le cahin-caha
Plein d’allégresse
Ce théâtre autrefois
Du monde avait le choix.
D'agréables minois
Exprimaient à la fois
La joie et la tendresse.
Mercure
Aujourd’hui ce n’est plus cela.
Leurs belles actrices
Au jeu sont novices.
Leurs grands exercices
Sont dans les coulisses
Et le jeu va cahin-caha.
Mais j’aperçois quelqu’un. C'est sans doute pour vous demander audience.
Voyons ce que veut ce joli minois.
Scène 5
Polichinelle, Mercure, une actrice
L'actrice
en dansant
Air :
Sitôt que mon pied s’élance,
Je soulève tous les cœurs.
Mes regards ont la puissance
D'enchanter les spectateurs.
Et ziste zeste zesteMs. : « et zites zette
zeste »
Voilà ce qu’il faut
Quand une actrice veut plaire.
Il faut bien faire lan lere.
Il faut bien faire le saut.
Elle danse un tambourinTambourin :
« Danse. » (Dictionnaire de danse, Paris,
1787)..
Polichinelle
Cette danse est brillante,
Digne d’enchantementMs. :
« enchetement ».
Mercure
Sa jambe pétulante
Fait voir de l’agrément.
L'actrice
Air : Elle a bien autre chose qui surpasse cela
C'est un rien que j’expose.
Mon brillant n’est pas là.
Je fais bien autre chose
Qui surpasse cela.
Mais grand dieu, je viens vous prier de vouloir me favoriser. Je veux entrer
à l’Opéra.
Polichinelle
Air : Faut-il que je sois ton cousin
Mais pour entrer à l’Opéra,
Vous sentez-vous actrice ?
Autrement l’on vous relèvera
Pour garnirMs. : « ganir » la
coulisse.
Dans la danse vous me paraissez réussir mais quand il s’agit de jouer des
rôles tendres et tragiques, c’est unMs. : « art »
biffé autre art. Et il en est peu qui y réussissent.
L'actrice
Air : La beauté, la rareté, la curiosité
Si du haut sérieux je voulais entreprendre
La beauté,
La majesté, le noble irait se joindre
Au tendre.
Mercure
La rareté !
Vous pouvez en ce cas de mille gensMs. :
« en » en
Surprendre
La curiosité.
L'actrice
Air : Lanturelu
Quand il s’agit de danse
Je joins à mes grâces
De grands entrechats.
L'on voit sur mes traces
Régner les appas.
Je veux sans disgrâce
Bien remplacer la vertu.
Mercure
Lanturelu, lanturela, lanturelu.
l’actrice
Ma danse est légère et pétulante.
J'enchante.
Mercure
Air : Les sautsLes sauts désigne l’air Les sept sauts.
Ce n’est pas ce qu’il faut.
La belle, serait-il beau
Que la vertu fît un saut ?
[Un saut, deux sauts, trois sauts,
Quatre sauts, cinq sauts,six sauts.]
L'actrice
Daignez-vous me favoriser ?
Polichinelle
Je consens et voici Mercure, votre protecteur ordinaire qui vous y
introduira.
Mercure
J'y consens volontiers.
Air : Un perruquier
Poussons l’aventure,
Allons sans tarder.
Sachez que Mercure
Prétend vous tourelouriretteMs. :
« tourelourette »
Prétend vous lan la derirette
Prétend vous guider.
C'est mon emploi le plus grand.
L'actrice
Hélas, Monsieur, je m’y livre entièrement. Je meurs d’impatience d’y
être.
Mercure
Air : L'amour me fait mourirL'amour me fait mourir :
même air que L'amour me fait lon lan
la.
Je vais jeune follette
Combler votre désir.
Et vous direz, poulette,
Dans ce lieu de plaisir :
L'amour me fait lon lan la,
L'amour me fait mourir.
Air : La bonne aventure [ô gué]
Je vais vous mener soudain
A la belle allureMs. : « la belle
allalure »,
Et vous chanter ce refrain
Tout le long de mon chemin.
La bonne aventure ô gué !
La bonne aventure !
Je vais en même temps annoncer partout votre retour et qu’ici vous donnez
audience.
Scène 6
Polichinelle, la Réputation
polichinelle
Que cherchez-vous ?
La réputation
Je suis perdue.
polichinelle
Et qui êtes-vous s’il vous plaît ?
La réputation
La Réputation.
polichinelle
Vous devez être sujette à de pareilles disgrâces. Sans doute que quelques
aimables tendronsTendrons : « On dit
figurément d’une jeune fille que C'est un jeune
tendron. » (Acad 1694).vous auront
tourné casaqueTourner casaque :
« Pour dire Changer de parti. »(Acad
1694). .
[Air : Vaudeville de ]
Air : [Vaudeville de ] L'Horoscope
accompliL'Horoscope accompli :
comédie en un acte de Thomas-Simon Gueullette, 6 juillet
1727.
Avant de se mettre en ménage,
Une fille a son favori.
Elle sait que le mariage
Mettra son honneur à l’abri.
Mais au pauvre époux
Qui l’engage,
On lui prédit femme volage.
Au bout de deux mois et demi
Il voit l’horoscope accompli.
La réputation
Monseigneur, ce n’est pas cela. C'est votre rival au goût imposteur, ce génie
bizarre, qui m’a répudiée.
Polichinelle
Air : Ton humeur [est Catherine]Ms. : « de ton humeur chaterine »
Pour quelle raison ma chère,
Redouter de vains efforts ?
Ce faux dieu téméraireIl manque une syllabe pour le moule
métrique de l’air.
Avait d’impuissants transports.
Jupin a vengé l’injure
De cet orgueilleux mortel.
Souffrirait-il le parjure ?
Triomphez sur son autel !
Et quand il règnerait encore, les coups n’auraient aucun effet. Mais c’est
que la moindre chose vous effarouche.
Air : Réveillez-vous belle endormie
Vous pouvez vivre en assurance
Sans craindre la témérité.
Les mortels n’ont point la puissance
De vaincre la postérité.
Scène 7
Polichinelle, un musicien et un maître à danser
L'un chante et l’autre danse
polichinelle
À la folie de ces gens-là, c’est aisé de reconnaître un musicien et un maître
à danser.
Le musicien
Il chante italien, l’autre fait un entrechat
Seigneur, je suis musicien italien.
Polichinelle
Eh bien, Messieurs, que puis-je pour vous ?
Le musicien
Établir la réputation qu’un mauvais goût a glissé dans les esprits. Les
Italiens sont des rivaux fanatiques de la musique française. Ils défigurent
l’art par leur ton glapissant et moi, je soutiens à tous le contraire et je
dis qu’il est plus de beaux morceaux italiens qu’en français et les auteurs
Italiens sont en bien plus grand nombre qu’ici. Donc, ce ne peut être qu’un
mauvais goût qui ait pu inspirer de tels sentiments et je viens vous prier
de le réformer.
Le danseur
Et moi, je viens vous prier de me favoriser dans l’art de la danse.
Le musicien
Ne nous refusez pas un avantage qui fait tout notre bien. Notre talent est
nécessaire.
Air : De tous les Capucins du monde
Par lui tous les jours on s’engage.
Un air conduit au badinage.
On chante la douce langueur
Pour amuser une fillette
Et l’on triomphe de son cœur.
C'est l’effet d’une chansonnette.
Le maître à danser
La danse a tout autant d’attraits mais nous allons composer un ballet, que
dans peu nous vous donnerons, si vous voulez nous inspirer l’art de vous
plaire.
Polichinelle
Volontiers.
Le musicien
Allons travailler à la célébration de cette fête.
Scène 8
Polichinelle, le Caprice
polichinelle
Mais j’aperçois le Caprice !
Le caprice
Ah, Seigneur, à votre aspect je reconnais le Goût. Daignez me favoriser dans
mes entreprises !
Polichinelle
Et qui sont-elles s’il vous plaît ?
Le caprice
Voici la première. Je fais une pièce de théâtre qui, selon moi, est un
chef-d’œuvre, mais ne la trouve pas de même.
Air : Bonjour Suzon
Ne souffrez pas
Que la délicatesse
D'une si bonne pièce
Éprouve par l’arrêt funeste
Du sifflet que je déteste
Un malheureux trépas.
Ah, quel bonheur !
Si le public traitable
Épargnait son auteur.
Mais j’ai bien peur
Que n’étant raisonnable,
Il siffle mon labeur.
Polichinelle
Ah, dans quelle erreur tombez-vous ? Vous imputez au public un manque de goût
et de raison et ce sont les ouvrages qu’on lui présente qui n’ont souvent ni
goût, ni rime, ni raison.
Le caprice
C'est le public qui n’en a point assez pour comprendre le grand goût de nos
ouvrages.
Air : Musette de Callirhoé
Une cabale nombreuse
Et fâcheuse
Prétend décider
D'une pièce
Et sans tarder,
Une presseUne presse :
« Foule, multitude de personnes qui se pressent. Se
mettre dans la presse, craindre la presse. »
(Acad. 1694).
L'on voit siffloter.
Un ivrogne,
Dont la trogne
En Bourgogne
Fleurit dans le vin,
Croit faire bien
Que de braire
Au parterre
Sur un rien.
Voici ce public plein de goût de qui dépend le sort d’une pièce.
Polichinelle
Le public judicieux n’est pas de cette cohorte et votre aveuglément vous
suffoque.
Le caprice
Allons, passons. En voici un autre.
Air : Un peu de tricherie
Pour attraper une bergère,
DamonDamon : personnage
typique de comédie déjà présent dans les III ème
et IVème
Bucoliques de Virgile (par exemple La
suivante de Pierre Corneille, 1634 ou L'Auteur
superstitieux de Louis de Boissy, au Théâtre-italien le 9
février 1732). promit d’être sincère.
Polichinelle
Eh bon, bon,bon.
Je t’en réponds.
le caprice
Par ce petit tour de tendresse
Il triompha de la tigresse.
Polichinelle
Eh bien, en quoi cela m’importe-t-il ?
Le caprice
Comme le Caprice en a triomphé et ensuite les a séparés, je voudrais que le
Goût les réunisse.
Polichinelle
Et zon, zon, zon.
Ah, voyez donc,
Un peu de tricherie
Dans la vie
Est toujours de saison.
C'est à vous à en avoir toute la gloire. Le Caprice qui les a unis et
séparés, c’est lui-même qui les doit réunir.
Le caprice
Voyez la dernière. C'est pour favoriser un peintre.
Polichinelle
Air : On vous en ratisse.
Ah, vous vous moquez vraiment !
Avec un tel compliment,
Ce n’est que par le caprice
Que se guide ces gens-là.
[On vous en ratisse, tisse]
On vous en ratissera.
Le caprice
Adieu, je me retire ne pouvant rien obtenir de vous.
Scène 9
Polichinelle, [Colin ]un paysan , [Cloris ]une paysane
Colin
Pargué, Seigneur, je viens vous demander justice. Voyez-vous bien stelle-là ?
Elle est jardinière en ces cantons. Je suis de même jardinier à votre
service. Morgué, elle perd le goût. Elle a dit comme ça qu’elle voulait bien
m’épouser. J'avons fait les fiançailles et à présent, elle ne veut plus
faire les épousailles. Ou elle a oublié toutes les bontés qu’elle me doit ou
quel[que] autre lui conte fleurette, en tout cas, ce n’est pas bien belle
récompense du temps que j’ai perdu après son jardinage.
Air : Que je regrette mon amant
Pendant longtemps j’ai cultivé
Le jardin de cette cruelle.
Non, jamais je n’ai mieux trouvé.
Aussi fus-je aimé de la belle.
Je la cultivais si souvent
Qu'elle m’aimait infiniment.
Je cultivais, je plantais, l’arrosais
Si fréquemment qu’elle m’aimait
Infiniment.
Son regard séduisant
Ne m’offrait que caresse
Elle disait souvent
D'un [air]plein de tendresse :
Fais mon bonheur,
La vive ardeur.
Charme mon lire, lire lire, lire.
Charme mon toureloure loure.
Charme mon cœur.
Quand sur sa petite bouche j’allons prendre un baiser, elle ne bronchait pas.
Je vivions bien. Nous nous aimions bian et nous nous baisions bian. Quelle
raison ma baillera-t-elle à présent pour justifier son inconstance ? Je ne
vois que trop qu’elle ne veut plus de moi. Car elle ne m’entretient plus de
toutesMs. : « tous » ses galantesMs. : « galandes » sornettes.
Air : Quand je quitterai ma Climène
Tu disais que tu m’aimais,
Menteuse, menteuseIl manque une phrase pour
la rime et le sens. !
Cloris
À l’entendre on croirait qu’il serait le plus fidèle de la terre !
Mais que je suis bien malheureuse
De t’avoir pris pour mon amant.
Toute ton inconstance affreuse
Est la cause de mon tourment.
Colin
Bon, bon, tu me respectes toujours. Çà tenez, un jour que j’étais cheux le
gros seigneur du village avec Jérôme à jouer au billardBillard : « Sorte de jeu où l’on joue avec de
petites boules d’ivoire que l’on pousse avec un bâton fait exprès. »
(Acad.1694)., sa femme était itou là.
Chaque [fois] que je boutaisBouter : « Mettre. Il
est bas et ne se dit plus. » (Acad.1694). dans
la blouseBlouse : « Trou qui est au coin et au côté
de la table d’un billard et où l’on pousse la bille de celui contre qui
on joue. Il met bien dans la blouse. »
(Acad.1694)., ça la faisait rire et moi de même parce que je
ne sommes pas accoutumés à ce jeu. Et parce qu’elle nous a entendus rire,
elle augure de là que c’est que je batifolions.
Cloris
Ne t’ai-je pas vu l’autre jour, assis auprès de la fille à Colas et vanter
ton grandeur ?
Colin
Ah, je [ne]sais ce que tu veux me dire.
Cloris
Air : Lan la [landerirette]
Traître , je t’ai vu près d’elle !
À gogo tu folâtrais.
Colin
Non, mais c’est qu’[à cette] belleMs. : « non, mais c’est
que la belle »
Je présentais des bouquets.
[Pour son lan la landerirette,
Pour son lan la landerira.]
Pour sûr, tu m’as sans doute aperçu quand je voulais lui mettre au côté. Elle
faisait des façons. J'en faisais tout de même et tu traites cela
d’inconstance. Va, va, je suis incapable de faire uMs. :
« un »ne infidélité.
Air : Folies d’Espagne
Cesse Clorise d’être à mes yeux
Rebelle.
Engageons-nous, profitons d’un
Moment.
Si mon regard a pu t’être infidèle,
Crois que mon cœur en était plus constant.
PolichinelleMs. : « idem » pour désigner le vaudeville
S'il a trahi votre amoureuse
Flamme,
Qu'un doux pardon réunisse
Vos feux.
Le tendre amour peut reconnaître
En votre âme
L'art que l’hymen enserrera les nœuds.
Colin
La Cloris, morgué, notre bourgeois a raison. Est la raison itou qui parle par
sa bouche. Elle sait, morgué, s’en servir.
Air : Laissons-nous charmer [du plaisir d’aimer]
Si ton tendre cœur
Ressent même ardeur,
Unissons-nous Cloris ,
Le mien est de prix.
Les parfaits amours
N'ont que des beaux jours.
Le temps le plus charmant
Est le temps présent.
Oui, je t’aime.
Dis de même.
Que l’hymen comble nos vœux !
D'être sage,
C'est le gage
Que t’offrent mes feux.
Rendons-nous heureux !
Si ton tendre cœurMs. : esperluette indiquant la reprise
du début du vaudeville
[Ressent même ardeur,
Unissons-nous Cloris ,
Le mien est de prix.
Les parfaits amours
N'ont que des beaux jours.]
Que sert tant de façons …
Quand [même] la raison
Nous donne pour leçon
Qu'on s’engage.
Le ménage
Au jeune âge,
Fait sur les plaisirs
Régler les désirs.
Si ton tendre cœur... etc.
Cloris
Allons mon cher cousin
Je veux être ta femme.
Je te donne ma main.
Jouissons d’un heureux destin
La raison dans mon âme
Vient de glisser la flamme.
L'inconstance ardeur
N'est que froideur
Qui passe mon cœur.
Scène 10
Polichinelle, un Gascon et son valet
le gascon
Valentin, demeure là, je veux parler au dieu des talents.
Polichinelle
Que me veut ce Gascon ?
Le gascon
Ah, Seigneur, j’arrive ici clandestinement comme dans la chambre d’une belle
pour vous prier de vouloir bien me conserver votre faveur.
Polichinelle
Ma faveur ? Mais je ne crois point encore vous avoir donné des marques.
le gascon
Eh, sanguié, vous n’y pensez pas ? Qu'appelez-vous [donc]Ms. : « don » lorsque je suis à la toilette d’une belle à venger
selon l’air de son visage-tout ce que l’art a inventé de beau-. ou que je
suis dans un bal où par mon allégresse je vous fais reconnaître et admirer
en même temps. Et donc, je ne vous possède pas ?
Polichinelle
En tout cas, continuez d’en profiter.
le gascon
Encore quand je me bats, ne suis-je pas le goût même ? Ne voit-on pas partir
un torrent de grâces à chaque botteBotte : « En terme d’escrime est un coup qu’on porte avec le
fleuret ou une estocade. » (Acad. 1694). que je
pousse?
Polichinelle
Mais vous battez-vous souvent ?
le gascon
Jamais. En voici la raison. Je ne me veux battre que seul à seul et je mène
mon valet avec moi.
Polichinelle
L'expédient est heureux.
le gascon
Enfin, je suis votre portrait d’après nature. Partout où je me trouve,
on croit vous voir. Suis-je dans un repas, tous les airs que je fredonne sont
autant de fragments de vos attraits. Suis-je près d’un joli tendron, sur le
ton de cousin je lui chante l’allureAllusion à l’air
« Mon cousin l’allure » ou « Le jour de Saint-Crépin mon cousin » (La Clef du caveau, p. 51). . Par exemple, voici
l’air que je chantais dernièrement sur celui de L'Allure :
[Air : Allure]
Iris un beau matin, d’un cousin,
Reçut une preuve,
Hélas , malgré son soin, mon
Cousin.
Elle porte l’enflure
Voilà d’un cousin l’allure.
N'est-ce pas là votre ressemblance et, cadédisCadédis : « Vieux juron gascon. » ( Thomas Guillain,
Furetiriana, ou les bons mots et les remarques,
histoires de morale, de critique, de plaisanterie et
d’érudition, Paris, 1696, p. 100)., que me manque-t-il
donc ? Car dans le fond, et sans gasconnade, je vous dis entre nous que je
bois. Je crois pour le goût, ne devoir point vous en céder. Je peux prendre
hardiment dessus vous le droit d’aînesse.
Polichinelle
Ah, Monsieur le cadédis, faites trêve s’il vous plaît à votre hardiesse. Elle
me déplaît fort et sans attendre que vous vous trouviez seul à seul, je
trouverai ici du monde qui vous ferait chanter sur un autre ton.
le gascon
Quoi, c’est tout de bon que vous le prenez ?
Polichinelle
Oui vraiment.
le gascon
Vous faites bien car je n’entends pas raillerie. Mais je vous quitte pour me
rendre à certain endroit où je crois qu’on m’attend avec empressement.
Polichinelle
C'est donc chez quelque créancier.
le gascon
Que dites-vous ? Ils se donnent bien la peine de venir eux-mêmes me
trouver.