Aligné à gauche pour les répliques en prose.
Les didascalies sont centrées.
Les vers de vaudevilles ont un retrait en fonction du nombre de syllabes métriques qu'ils comportent.
La numérotation en TEI des pages se fait suivant la numérotation présente dans le coin haut droit de la page du manuscrit. Nous ne mentionnons pas la pagination originale (souvent rayée dans le manuscrit), mais celle du portefeuille dans lequel sont regroupées plusieurs pièces.
Le texte étant présent recto-verso la numérotation se fait de la façon suivant : 1, 1v, 2, 2v, etc. "v" correspondant à verso.
Ecrit à la main, par le même scripteur.
Ecrit en
Cette pièce a été transcrite à partir du microfilm reproduisant le manuscrit original détenu à la BnF. Microfilm acheté pour l'équipe Cethefi de Nantes, par la Bibliothèque Universitaire de Nantes.
La transcription et l'édition critique ont été réalisées dans le cadre d'un mémoire de recherche en littérature française. La présente édition TEI est réalisée dans le cadre du programme ANR CIRESFI (2014-2019), mené par le Cethefi, Université de Nantes. Sa dernière mise à jour date d'août 2019.
L'établissement de la présente édition provient d'un travail de recherche universitaire, relu et corrigé par l'enseignant en charge du suivi de ce travail de recherche.
L’orthographe a été modernisée.
Des éléments manquants ont été rajoutés entre crochets.
Les abréviations ont été développées et unifiées.
Dans les vaudevilles se terminant par "etc." nous avons complété les paroles entre crochets lorsque la suite nous était connue.
La ponctuation a été modernisée ou ajoutée lorsque cela était nécessaire à la compréhension du texte.
Les retours de ligne sont notés avec l’élémént lb. Ils ne concernent que les effet de mise en page précis, comme la page de titre, ou éventuellement dans le texte, mais ne suivent pas les retours à la ligne liés au format du manuscrit ou à l'écriture du scripteur.
Chaque air dispose d'un identifant correspondant à son équivalent dans la base de données exploitée par le site Theaville.
Le nombre de syllabes métriques des vers chantés ou déclamés est spécifié.
La scène est dans le magasin des choses perdues.
Pour quelques railleries que Momus a laissé échapper sur ses confrères les Dieux, le voilà banni de l’Olympe, je conviens que c’est ma faute, Jupiter m’en avait averti en plusieurs fois, mais aussi que ne se corrigeait-il lui-même ! Les Dieux ont cela de commun avec les humains, ils font des sottises et punissent ceux qui osent les en faire apercevoir. Que vais-je devenir, je ne connais point d’asile et…
En vérité, Seigneur Momus, je prends beaucoup de part à votre disgrâce.
Je me réjouis avec votre Seigneurie de ce qu’elle n’est pas dans le cas
J’y suis sujet comme un autre, le bon Jupiter est si vieux qu’il radoteRadoter : « Dire des extravagances par un
affaiblissement d’esprit que le trop grand âge a causé. » (Acad. 1694)
Les services que vous lui rendez journellement sont de nature à n’être pas facilement oubliés. D’ailleurs, que feraient les coquettes de l’Olympe sans l’obligeant Mercure ?
Je regarde le trait que vous me lancez comme un effet de dépit de vous voir privé de
l’ambroisie. Mais parlons d’autre chosed’autre choses ».
Entre nous, je suis fort embarrassé de ma défunte divinité. Je sais bien qu’en descendant sur la terre, je trouverai matière d’exercer l’emploi satirique dont je viens d’être dépossédé dans les cieux. Mais je crains aussi…
Je vois votre appréhension.
Les railleurs et les poètes sont sujets à ces petits accidents.
Cela est vrai.
Sachant votre disgrâce, j’ai disposé en votre faveur d’un emploi dont Jupiter m’a laissé le maître, et où votre dos sera à couvert de tout ressentiment.
En quoi consiste-t-il ?
Nous voici précisément proche du lieu où, depuis qu’Astrée a quitté la terre
Ce lieu doit être bien rempli.
Oh, je vous en réponds. On vous donne la direction de tout cela.
J’en ai entendu parler mais il me semble qu’il y a déjà une personne qui dirige ce magasin.
On l’avait confié à la garde d’une divinité femelle et subalterne qui s’en est acquittée fort mal.
Depuis quand les femmes exercent-elles des emplois ?
Jupiter, sollicité par Vénus, est passé par
Le bonhomme tranche
Ne savez-vous pas qu’il n’y a plus qu’un moyen de faire réussir toutes les entreprises, même celles qui n’ont jamais eu d’exemple ?
Cependant le public l’emporte dans cette affaire sur la protection.
C’est donc pour la première fois.
Voici celle à qui vous allez succéder.
Vous vous en êtes si mal acquittée que, suivant le résultat de la dernière assemblée de l’Olympe, je viens vous en déposséder pour y installer le Seigneur Momus.
J’ai beau m’examiner, je ne vois pas en quoi j’ai pu manquer.
Mais vous ne savez pas peut être que Vénus n’est plus en faveur ?
Ah, c’est autre chose cependant.
Oh cependant, cependant tant qu’il vous plaira ! Vous devez plutôt attribuer votre révocation à votre mauvaise conduite qu’à la disgrâce de Vénus.
Qu’ai-je donc fait ?
Des sottises. Hier, par exemple, ne vouliez-vous pas rendre à une fille du magasin l’innocence qu’elle avait perdue en entrant ?
Cela se pouvait-il, Seigneur Mercure ?
Jupiter n’est-il pas tout puissant ?
J’en conviens mais pour cet article :
Et si bien qu’il n’y a pas seulement de quoi grappiller.
Voilà un beau sujet de révocation ! Notre magasin est si rempli de ces pertes-là qu’on ne sait plus où les mettre.
Pourquoi rendîtes-vous, ces jours passés, à cette vieille marchande les airs de complaisance qu’elle avait pour ses égaux avant sa fortune ?
La pauvre femme me fit pitié. Son mari, qui prévoyait une banqueroute, lui a ôté le maniement de ses espèces.
Et il faut avoir beaucoup de complaisance pour ces messieurs-là.
Ne fût-ce que pour les indemniser de la dépense qu’ils font en poudre et en eau de senteur.
Comment vous disculperez-vous de la faute que vous avez faite en rendant à la femme de certain apothicaire l’amour qu’elle avait pour le vieux médecin, à qui elle préférait judicieusement un jeune avocat ?
Oh, pour celui-là, vous en auriez eu compassion ; l’apothicaire et sa famille pâtissaient trop de la sottise de la dame en question.
Et ils ne pouvaient pas vivre avec le verbiage de l’avocat.
Mauvaises raisons que tout cela ! En un mot il faut céder l’emploi à Momus.
Allons donc, puisqu’il le faut. Seigneur Mercure j’ai une grâce à vous demander : obtenez-moi de Jupiter quelque autre emploi, je suis sûre qu’il ne tiendra qu’à
vous. L’honneur de votre protection vaut bien celle de Vénus. Elle
sort.
La petite friponne vous connaît.
Je ne me fâche pas pour si peu et d’ailleurs on ne peut pas médire pis que mon nom.
Vous voyez présentement en quoi consiste votre emploi. Adieu, vous ne tarderez pas à
avoir de la pratiquePratique : « se dit des
personnes mêmes qui donnent de l’emploi à un Marchand, à un artisan, à un ouvrier, à
un Procureur, à un Médecin, etc. Ce Marchand a perdu depuis peu une de
ses meilleures pratiques. Toutes les pratiques de ce Procureur sont de Province. Il
vient tous les jours de nouvelles pratiques à ce Procureur, à ce Marchand, à ce
Médecin, etc. » (Acad. 1762)Serviteur : Formule de politesse pour prendre
congé.
Je vous serai obligé, car je ne me sens pas propre à faire les courbettes nécessaires pour conserver une commission.
Voyons notre magasin.
Mais, n’en déplaise à Mercure, je ne crois pas avoir grande pratique. Toutes choses sont ici dans un trop grand arrangement. Je ne dois pas en être étonné : on ne s’avise guère de chercher ce que l’on ne croit pas avoir perdu, et ce lieu me paraît aussi peu fréquenté des mortels que bien des bibliothèques que je connais. Mais j’entends quelqu’un : ce sont deux filles. Comme je ne suis pas encore bien au fait, voyons par leur discours ce que j’aurai à leur répondre.
Allons, ma sœur, vous voilà comme une grande idoleIdole : « se dit de toute personne qui paraît stupide ou qui ne se donne pas
assez de mouvement. » (Acad. 1694)
Laissez-moi petite fille. Cette morveuse-là a toujours envie de sauter.
Depuis que j’ai vu sauter à l’Opéra-Comique, je ne puis demeurer en place. Mais s’il
vous plaît, ma très chère sœur, ne vous donnez pas les airs de m’appeler davantage
petite fille. Si je ne suis pas de votre taille, j’ai du moins
Vous feriez bien mieux de vous taire.
Que vous êtes sotte !
On voit bien que vous ne savez pas tout ce qu’un petit doigt sait dire.
Et où votre petit doigt nous mènera-t-il, s’il vous plaît ?
A quelque chose de fort joli.
Ah, je vois un homme, sortons d’ici.
L’idiote ! Ne voyez-vous pas que c’est celui qui doit vous donner des nouvelles de ce que vous avez perdu ? Et d’ailleurs, est-ce qu’un homme vous fait peur ?
Assurément.
Vous ne méritez pas d’être mon aînée.
Que demandez-vous ici, les belles ?
Comme je n’ai encore rien perdu, je ne cherche rien. J’accompagne seulement ma sœur qui me fait mystère de quelque chose qu’elle a égarée hier.
De quelle espèce est votre perte, la belle grande fille ?
Ce n’est qu’une bagatelle.
Les bagatelles que peut perdre une fille de votre âge sont quelques fois d’une grande conséquence.
Ce que j’ai perdu me plaisait beaucoup.
Et à quelque autre aussi, j’en suis sûr.
C’est la règle.
J’ai eu le malheur de le laisser s’échapper en voulant le faire voir.
Vous m’inquiétez furieusementFurieusement :
« Dans l’usage ordinaire de parler, il signifie prodigieusement, extrêmement,
excessivement. » (Acad. 1694)
Et moi aussi.
Il faut donc me résoudre à vous le dire, mais peut-être vous moquerez vous de moi.
Dites toujours.
Etiez-vous seule ?
Non vraiment. C’est le jeune Lisandre qui en est cause. Il voulait le caresser et se jetant à mes pieds avec ardeur il me dit :
Hélas, je n’eus pas plutôt ouvert sa cage qu’il partit comme un éclair. Je me fatiguais beaucoup à courir après et le rappeler mais il ne vint point.
Ni ne reviendra.
Ne [se] serait-il point envolé ici ?
Rendez-le-moi de grâce, hélas si vous l’avez.
Quand nous ferions une volière de notre magasin, il ne serait pas assez grand pour contenir tous les oiseaux que vos pareils laissent échapper.
J’en élèverai donc un autre.
Ce sera peine perdue.
Pourquoi donc, Seigneur ? Ma sœur peut retrouver un autre oiseau.
D’accord, mais il ne s’accoutumerait jamais à la cage. Dites-moi, ce Lisandre n’est-il pas votre amant ?
Qu’est-ce qu’un amant ?
Parbleu, la question est neuveNeuve : « On dit
une idée neuve, une pensée neuve pour dire une pensée, une idée
qui n’a point encore été employée. » (Acad. 1762) Ici, il faut comprendre le mot au
sens de naïve.
Ah, je devine, je devine. Je suis présentement au fait ; mais, Seigneur, avec votre permission, il me semble que l’on peut avoir un amant sans que cela tire à des certaines conséquences.
Ne vous y fiez pas.
Vous me feriez trembler si j’étais plus peureuse. Mais, n’en déplaise à votre morale, je crois qu’il y a façon d’avoir des amants sans se laisser attraper.
Oh, j’ai des principes sûrs contre les occasions prochaines.
A la bonne heure. Mais songez
Et comment s’y prenait votre mère ?
Bon, rien n’est si facile, et pour peu qu’une fille est d’intelligence, elle sait
toutes ces petites façons dès la bavetteBavette :
« Une petite pièce de toile que les enfants portent par devant, depuis le haut de la
robe jusqu’à la ceinture. » (Acad. 1694). Ici, dès la bavette signifie donc dès le
plus jeune âge.
Qu’allez-vous donc dire petite fille ?
Quelque chose dont vous pourrez encore profiter, ma grande sœur. Vous savez, Seigneur,
Entendez-vous ?
Fort bien, mais il est une espèce de galants qui, à titre de parents et sous prétexte de cousinage s’introduisent dans le cœur de la parente.
Je conviens aussi qu’il faut passer quelque chose à la parenté.
Il ne faut s’attacher sérieusement qu’à ceux qui parlent mariage.
Mais j’ai ouï dire à ma mère que tous ceux qui parlaient mariage n’épousaient pas, surtout les jeunes gens.
Eh bien rabattez sur la vieillesse.
Fi, cela est trop vilain !
Il est vrai qu’on ne peut pas faire d’un vieillard ce qu’on voudrait bien.
Oh que si, je connais
Vous avez raison : un vieillard vous laisse entrevoir le veuvage, la charmante perspective pour une jeune femme qui se trouve tout-à-coup dans l’opulence, et en état de faire un choix selon son cœur. L’embarras n’est que d’hériter à propos.
Cela est encore fort aisé.
Après tout, on serait bien malheureuse si on ne trouvait pas quelque honnête protecteur toujours prêt à soutenir un testament qui frustre de légitimes héritiers en faveur d’une pauvre jeune veuve.
Il faut convenir que vous êtes dans les bons principes. Allez, mes enfants. Profitez : vous de son exemple, et vous de ses conseils, c’est le vrai moyen de réparer vos pertes présentes et à venir.
Quel homme s’avance ? Vous me paraissez bien rêveur, vous ne me voyez pas sans doute ?
Pardon, Seigneur, je suis si abîmé dans une profonde rêverie qu’elle ne me laisse pas la liberté de voir les gens.
Le sujet qui m’amène en ces lieux est si universel que j’aurai bien de la peine à vous en donner une juste idée.
Vous devez pourtant savoir pourquoi vous y venez.
En vérité, Seigneur, je n’en sais rien. J’ai perdu tant de différentes choses que je ne puis fixer le choix de celle que j’ai à vous demander. De grâce laissez-moi chercher dans votre magasin. La présence des objets me déterminera.
Cela ne se peut pas. Mais quel homme êtes-vous donc pour avoir fait tant de pertes ?
Voilà ce que j’aurai bien de la peine à vous dire.
Oh parbleu celui-là est plaisant.
J’ai fait tant de figures différentes, rempli tant de fonctions, subi tant de changements d’état que mon discours ne doit point vous causer de surprise. Je me suis vu garçon, marié, veuf et tout cela en même temps et au même endroit.
Vous êtes un prodige.
Enfin vous voyez un homme qui a vu et tâté de tout, et qui cependant ne sait où donner
de la tête. Oh
Il est vrai que cela ne me paraît pas facile mais à ce que je puis comprendre la multiplicité de vos talents ne vous a pas procuré beaucoup de fortune.
D’accordD’accord : « On dit en langage familier
d’accord pour dire, j’y consens. » (Acad. 1694)
Fort bien.
Dans la profession d’avocat que j’ai exercée, je dédommageais la jeune veuve que j’opprimais avec l’honoraire que me donnait l’oppresseur.
Si tous les avocats en usaient de même les parties se trouveraient à peu près contentes.
Dans la médecine je faisais grand chère et beau feuFaire grand chère et beau feu : « On dit proverbialement faire
grand chère et beau feu pour dire faire une grande dépense et ruineuse. »
(Acad. 1694, sub verbo : feu)
Si vous aviez certain accent je vous croirais du pays où l’on n’est point du tout
scrupuleuxNormand : « dans le langage grossier de la populace, il désigne un homme peu
scrupuleux sur les moyens de s’approprier le bien d’autrui. » Linguet, Annales politiques, civiles et littéraires du dix-huitième Siècle, Londres,
1779, Volume 7, p. 119.
Je suis parisien.
Il n’est pas possible. Les enfants de Paris ne passeront pas pour des gens capables de faire tant de belles choses que vous en venez de citer, au contraire.
Regardez-moi donc comme un phénomène. Voici mon histoire : mon père après avoir passé
par tous les grades du commerce et s’être fait décrasserDécrasser : « Et l’on dit d’un homme de basse extraction qui a acheté
une charge considérable, qu’Il l’a achetée pour se décrasser, pour dire, qu’Il a
acheté sa charge afin de se donner quelque distinction. Il n’est que du style
familier.» (Acad. 1762)La lessive ordinaire ou savonnette à vilain :
« Proverbial et figuré : s’est dit des charges qu’on achetait pour s’anoblir. Il a acheté une savonnette à vilain » (Acad. 1835)
Vanité bourgeoise ; continuez.
Je prodiguais les richesses qu’il avait accumulées en prenant un équipage de Jean de
ParisEquipage de Jean de Paris : « On dit
proverbialement l'équipage de Jean de Paris pour dire un équipage
magnifique. » (Acad. 1762, sub verbo : équipage)
Malepeste, vous ne perdîtes pas au change.
Je me faufilaiFaufiler : « On dit figurément se faufiler avec quelqu’un, être faufilé avec quelqu’un pour dire se
lier avec quelqu’un d’amitié, d’intérêt, de plaisir. » (Acad. 1762)
A ce tableau, je vous reconnais pour enfant de Paris.
Nécessité mère d’invention développa mes idées et fit d’un badaud l’homme dont je viens de vous tracer le portrait.
En effet, vous êtes un phénomène ; mais enfin, que demandez-vous de moi ? Vous rêvez ?
Entre nous je suis fort embarrasséEmbarrassé :
« Il signifie mettre en peine, donner de l’irrésolution. » (Acad. 1694)
Vous vous trompez. Vous ne connaissez pas encore toutes vos pertes et surtout une à laquelle je suis sûr que vous ne pensez pas cependant.
Je ne me charge pas d’un pareil meuble et je sauraiSic, probablement verbe omis.
M. de La Robichonnière
Seigneur, vous pourriez sans m’apostropher…
Brisons-làBrisons-là : « Lorsqu’on veut empêcher
quelqu’un de continuer un discours qui déplaît, et lui imposer silence, on dit: Brisons-là. » (Acad. 1694)
Eh bien, puisqu’il faut en passer par là. Rendez-moi donc cette brillante chimère.
Ignorez-vous que la réputation ne se retrouve jamais ?
Oh, ma foi, vous êtes trop difficile. Adieu.
A la bonne heure, je suis peu curieux de celle de vos semblables, mais j’espère que cette nouvelle visite me dédommagera des impertinences que je viens d’entendre.
Que demandez-vous, ma bonne dame ?
Hélas !
Pourquoi ce soupir ?
C’est la réponse à l’épithète que vous me donnez, hélas !
Encore ! Votre perte est donc d’une grande conséquence.
Ma foi, non.
Cachons notre disgrâce. Oui, je sais ce qui vous amène ici.
Epargnez-moi donc la peine de vous le dire.
Cela ne se peut. Imaginez-vous consulter un négromant
Je ne puis m’y résoudre.
Serviteur.
Mais, Seigneur, faut-il…
Oh, que diable, il faut ce qu’il faut une foisUne
fois : « Familier une bonne fois, une fois pour toutes, se
dit en parlant d’une action faite complétement en une fois, ou avec le dessein, la
résolution de ne point la faire de nouveau. Avouez-le donc une bonne
fois. Je vous le dis une bonne fois. Une fois pour toutes, je vous en avertis.
On dit quelquefois simplement une fois. » (Acad. 1835, sub verbo : fois)
Ne pourriez-vous pas…
Ou vous me cajolez, ou je n’ai pas l’honneur d’être connu de vous ; jamais je n’ai passé pour galant. Il est vrai que je ménage peu le prochain, mais ce n’est pas ma faute ; cependant
Expliquez votre demande.
Cruelle nécessité !
Allons, allons, faites quelque chose pour vous.
Eh bien, Seigneur, regardez-moi et jugez par les grâces dont je suis encore pourvue de celles que je pouvais avoir il y a vingt ans.
Mais que feriez-vous si vous aviez vingt ans de moins ?
J’emploierais bien mieux le temps.
Effectivement, vous en auriez d’avantage, car je suis persuadé que vous perdez les trois quarts du jour à votre toilette.
Hé, Seigneur, ne m’insultez pas !
J’avais cette vérité-là sur le cœur ; mais voilà qui est passé. Parlons sérieusement : je ne puis rien faire pour vous.
Vous ne pouvez rien faire pour moi ?
Ne savez-vous pas que la perte des beaux jours est irréparable ?
Voilà donc ce Dieu si traitable !
J’en suis fâché mais…
Doucement, madame la furie.
Non, non, point d’affaire.
A la bonne heure.
TarareTarare : « Espèce d’interjection
familière, dont on se sert, pour marquer qu’on se moque de ce qu’on entend dire ou
qu’on ne le croit pas. » (Acad. 1740)
Pouf.
Vous ne gagnerez rien avec moi.
Encore quelqu’un ; eh parbleu, je crois que cela n’en finira pas ; que me veulent ces gens-ci ?
Serviteur, l’homme aux retrouvailles ; n’an dit comme ça qu’ous nous rendrais ce que j’ons perdus.
C’est selon.
Tenez, notre femme que v’là a perdu quelque chose qu’alle avait et ça fait
que j’ai trouvé queuque chose que je n’avais pas, et pis alle a trouvé une autre chose, et moi j’ai perdu itou autre chose.
Cela ne me paraît pas facile à débrouiller.
Ce que j’ons perdu était bon et ce que j’ons trouvé ne vaut pas le diable.
Explique-toi.
M’y v’là ; premièrement vous saurais que notre minagère me tarabuste l’entendement à
cause qu’elle est gentille et un tantetTantet :
« Une très-petite quantité, un peu, tant soit peu. Donnez-moi un tantet
de ce potage. On dit adverbialement, un tantet. Elle est un tantet
bizarre. Il est très-familier. » (Acad. 1835)
Si fait, morguienne c’est queuque chose.
Je vous dirai donc pour toute conclusion que ça fait que j’ons perdu l’appétit et un
tantetCf. Note 36.
de notre cervelle.
Il ne fallait pas venir ici pour si peu de chose que ta cervelle.
M’est avis qu’ou ne faites pas grand cas de notre esprit. Savez-vous qu’avant d’avoir
épousé cette mijaurée-là j’en aviemes pu que je sommes gros puisque je faisais trois
méquiersmétiers.
Comment cela ?
J’empêchais les maris de dormir auprès de leurs femmes, ça n’est-il pas bien ?
Cela tient du prodige.
Mais on me mit dehors de ce métier-là un jour que l’Organiseux demeurit tout court, à cause de ce dit-il que je li avait soufflé une chose pour une autre.
C’était manquer de jugement.
C’est que ste bonne piècePièce : « On dit d’une
personne rusée, dissimulée, malicieuse que c’est une bonne pièce. Je le
connais, je ne m’y fie que de bonne sorte. C'est une bonne pièce. Il se dit
également de l’un et de l’autre sexe et ne se dit que dans le discours familier. »
(Acad. 1694)
Tu m’ennuies ; l’appétit te reviendra, la perte n’est pas si grande ; et vous, la belle, qu’avez-vous perdu et trouvé ?
Moi ? Rien.
Comme vous dites ça, note femme ; tenez, voyez-vous tous les affiquetsAffiquets : « Parure, ajustement. Il ne se dit guère
qu’en raillerie et au pluriel en parlant des petits ajustements d’une femme. Avec tous ses affiquets, elle ne laisse pas d’être laide. Il est
familier. » (Acad. 1762)Avant que soit pié enfoncé : Sans doute
faut-il comprendre « avant qu’elle ne soit plus enfoncée ».
Oui-da, chacun fait du bruit à sa façon.
V’là t-il pas qu’alle se rajuste encore !
Aïe, aïe…
Mais remarques-tu quelque chose en elle qui te fasse présumer que tu sois ce que tu appréhendes d’être ?
Çà monÇa mon : « Cette vieille expression ne
fait plus partie de nos vocabulaires. Vraiment c’est mon dit
Montaigne, l. 2, chap. 37 de Les Essais. Il y a grande apparence que
le c’est mon du Philosophe est la même chose que le ça
mon […], espèce de particule explétive et surabondante, telle qu’en admet
encore le dialogue familier. Le dernier éditeur de Montaigne dit que le c’est mon sert à affirmer plus fortement, mais c’est à présent tout à fait
barbare. » Œuvres de Molière, 1804, édition et notes d’Antoine Bret,
t. 6, p. 677.Voirement :
« D'une manière vraie (tombé en désuétude). » (Littré)
Doucement, Nicole ; conte-nous toi-même ta perte et ma trouvaille.
Que veux-tu que je dise ?
Eh, parguié, comment que t’as perdu ce que tu as porté à Paris ?
V’là t’il pas grand-chose ; c’était un panier de prunes que je portais au seigneur de notre village.
Jusqu’à présent il n’y a pas grand mal ; continuez, Nicole.
Il voulait lui-même prendre mes prunes ; moi je voulais li faire prendre car c’est pu honnête, n’est-il pas vrai, Guillot ?
Oh oui.
Vous avez une femme bien honnête, M. Guillot.
C’est la hantise des grandes gens qui li a fait ça.
Je contestions donc et tout en contestations je rependimes le fruit à vau la
chambreA vau la chambre : Expression imagée,
probablement par mimétisme avec l’expression à vau l’eau pour
signifier dans le plus grand désordre.
Hom quoi ?
Il n’y a pas de quoi te fâcher, Guillot.
Eh bien il te tirit…
Il me tirit un gros diamant de son doigt, en me disant :
C’est-à-dire que Nicole a pris le diamant.
Oh que non.
Tu fis bien.
Il m’obligit tant seulement d’en prendre la valisance en argent.
Passe pour ça ; l’argent vaut mieux pour nous que des guiamantsdiamants.
Il me dit qu’il me le donnait pour avoir bien des petits ajustorions et sitôt que je fus hors de chez lui j’achetis tous ceux-là ; tiens Guillot, voilà le reste de l’argent.
C’est agir bien honnêtement ; M. Guillot, vous êtes un mari privilégié.
C’est pardi des jaunetsJaunets : « On appelle
figurément mais bassement des pièces d’or des jaunets. » (Acad.
1694)
Et que crains-tu ?
C’est que v’là très bien d’argent ; et pis il faut
Cela se peut ; au reste M. Guillot, je vous conseille de lui vendre à ce prix tout le fruit de votre jardin.
Vous avez raison et pisqu’il aime tant les prunes je lui en baillerons tout le saoul.
Tu as raison.
Etes-vous content, M. Guillot, avez-vous retrouvé votre appétit ?
Oui, voilà ce qui me l’a rendu.
Le pauvre Guillot sans moi il serait mort de faim, tu vois bien mon ami
J’aperçois Mercure, que vient-il m’annoncer ?
Allegria, Seigneur Momus ! J’apporte une bonne et une mauvaise
nouvelle.
Vous verrez que toutes deux me donneront matière de rire.
Assurément ; toutes les cervelles de l’Olympe sont attaquées.
Ah ah ah, la plaisante chose.
Passons à l’autre nouvelle.
Je vous annonce votre rappel : c’est la bonne.
Qu’elle est la beauté à qui, après vous, j’en ai l’obligation ?
Vous ne devez de remerciements à personne ; je me suis servi de la conjoncture présente pour vous faire revenir.
Quelle est donc la manie qui agite nos autres confrères, car vous me paraissez dans votre bon sens, vous ?
En voici le sujet ; après votre départ, les têtes divines se trouvant sans
gourmetteGourmette : « On dit figurément d’un
homme violent qui s’abandonne à son tempérament, après s’être contraint quelque temps,
et d’un homme qui s’abandonne à la débauche, après avoir vécu dans la retenue, qu’il a rompu sa gourmette. » (Acad. 1694)
Que dis à cela le bon Jupiter avec sa tête fêlée ?
Il a conservé assez de bon sens pour voir que les autres sont devenus fous, et qu’il faut nécessairement que vous remontiez aux cieux pour mettre la police dans les esprits.
Si j’étais vindicatif je refuserais la proposition, et je me donnerais le plaisir de
voir faire de l’Olympe des petites maisons